Les cadavres de mes jours – Nouvelle

Nouvelle que j’ai écrit pour le concours du lycée. Deuxième place sur cinq ou six. Obsession du temps, des souvenirs… Thème pas grandement développé, je n’ai pas eu le temps, je l’ai écrite en 4 jours (+2 de relecture). Je prévois un roman sur le contexte.

Les cadavres de mes jours

Je suis allongée sur le sol de ma chambre. J’essaie de saisir le temps qui passe. Mes battements de coeur me guident et m’effraient. Ils font un bruit presque inaudible, mais le son est déjà assez fort pour que je n’entende que ça. J’essaie de saisir chaque silence entre les battements, mais je n’y arrive pas, ils s’enclenchent irrémédiablement et ne tiennent pas compte de mon envie de ralentir le temps. Leurs rythmes réguliers m’agacent, mais je reste là, à écouter chaque instant passer car je n’y peux rien.
J’ai reçu une lettre hier matin. Oui, la lettre. Le seul courrier papier qu’une personne reçoit de toute sa vie. C’était encore tôt le matin et j’étais descendue pour boire un verre d’eau, mais j’avais été arrêtée dans l’entrée en voyant cette enveloppe blanche contraster sur le vieux parquet de mon entrée. Elle avait simplement été glissée sous ma porte. J’avais déjà pensé à une hallucination parce que je n’étais pas très bien réveillée, mais lorsque j’ai frôlé le papier lisse des doigts, j’y ai vraiment cru.
Je ne l’attendais plus, je l’avais vraiment oublié. Cela faisait une décennie que je pouvais être tirée au sort et recevoir ce courrier. Je jouais un peu avec l’enveloppe pour me donner le courage de l’ouvrir, je savais très bien ce qui m’attendais. Mon coeur commençait à s’affoler, mais je devais impérativement me calmer. Je trouvais une carte blanche sur laquelle des chiffres bleus étaient figés à 650 000 battements de coeur, mais aussi une courte note :

Bonjour Mademoiselle Isabelle Lewis, n° 97258,

Je vous écris aujourd’hui pour vous annoncer que votre nom a été tiré au sort hier. Je tiens à rappeler que depuis la loi Wierman sur la longévité de la population, tout individu ayant son centenaire est soumis à un tirage au sort pour permettre une meilleure régulation de la population mondiale, mais aussi une amélioration de la qualité de vie.
Ci-joint, la carte qui vous indique les battements de coeur qu’il vous reste à vivre à compter de huit heures ce matin, votre prothèse cardiaque battra encore 650 000 fois avant de s’arrêter, ce qui vous laisse environs sept jours pour vous préparer à votre mort.

Avec les salutations et mes souhaits les plus sincère pour une excellente fin de vie,
Sophie Guzman, responsable du service contrôle de naissances et de morts.

Depuis hier, je ne suis pas sortie de chez moi. Je n’ai contacté aucun de mes amis. Je ne pense pas que je serai le genre de personne à faire la fête ou voir du monde. Je ne sais pas encore ce que je vais faire, j’avais fait une liste le jour de mes cents ans, mais c’était il y a presque onze ans. J’ai changé et je ne sais pas où j’ai mis cette liste. Pour l’instant, j’ai envie de ne rien faire, je resterai sur le sol de ma chambre jusqu’à ce que j’ai le courage de me lever pour faire quelque chose.
Mon coeur bat toujours calmement, je vois ma poitrine sursauté à chaque fois qu’il se contracte et se détend. J’essaie de faire le bilan de ma vie, j’ai vécu bien assez, je ne regrette rien et je ne me vois pas vivre encore des décennies. Je suis fatiguée, sûrement trop blasée, mais blasée, je l’ai toujours été.
Cent dix ans c’est long, en me rendant compte des années que j’ai traversé, je me sens beaucoup plus soulagée d’avoir trouvé cette lettre sur le sol de mon entrée hier. J’ai paradoxalement vécu une vie trop mouvementée que ce à quoi j’aspirais. Le calme, la solitude. Mais j’essaie de me rappeler des souvenirs qui ont remplis ces années, je n’ai rien de clair dans ma mémoire. Je n’ai jamais réussi à me rendre réellement compte des jours écoulées, ni des mois et encore moins des années. Je n’ai jamais rien compris à ce rythme trop régulier, à ce tictac mécanique et universel.
Mes souvenirs s’engouffrent entre les plis du temps et se compressent pour s’évaporer. Chaque seconde qui frappe avec violence les entassent dans ma mémoire, me rendant encore plus confuse. Mon seul repère est la musique, je me souviens toujours des musiques que j’ai écouté. Je ferme les yeux et commence à jouer dans ma tête une sonate au piano de Beethoven.
Cela me rappelle ces journées d’été à la campagne chez ma tante où je sortais souvent avec moi un baladeur et un recueil de poème. Je m’asseyais dans l’herbe, quelque part à l’orée de la forêt et lisait de la poésie en écoutant des musiques. C’était calme. Je souris sans réellement me rendre compte. Mais on me sort de ma rêverie, j’entends quelqu’un qui traverse l’allée, il déverrouille la porte et entre en toquant. C’est Maxence.

– Isabelle ?

Je me lève et m’habille rapidement. Je descends les escaliers. Je souris un instant en repensant aux dernières plaisanteries de Maxence la dernière fois que l’on s’est vu. Je m’approche de lui, prête à lui lancer une pique lorsque je remarque qu’il tient dans sa main la carte blanche. Il sait bien sûr ce que cela signifie, nous le savons tous.
Hier, j’avais simplement laissé la carte sur la table de l’entrée en pensant que je l’aurai caché avant que l’on me rende visite. Mais je l’avais oublié. Je vois les mains de Maxence trembler, il est encore un peu rosi par le froid qui règne dehors, mais je sais bien qu’il est bien plus pâle que d’habitude. Sur la carte, les chiffres changent au fur et à mesure que mon coeur bat.

– Je l’ai reçu hier, dis-je comme si c’était une chose tout à fait normale, je pensais t’en parler, mais je suis allée faire mon apathique seule dans mon coin, enfin tu me connais…

Il hoche simplement la tête et pose la carte. Il ferme les yeux en soupirant et se tourne vers moi, je commence à paniquer, je viens de me rendre compte que tout cela signifiait que l’on ne se verrait plus, je vais le laisser seul. Cela fait si longtemps que l’on se connait, presque un siècle. Je lève les yeux et observe son visage, il a toujours les yeux fermés, il est toujours aussi jeune et séduisant figé à ses vingt-cinq ans. Je sens la première larme couler sur ma joue alors que je tentais de la retenir. Maxence s’en rend compte et commence à s’inquiéter.

– Calme-toi, Isabelle. Tu comptes faire quoi du temps qu’il te reste ?

Je ne sais pas trop. Là, j’ai envie de me retirer à ma maison de campagne, celle dont j’ai hérité de ma tante. J’ai longuement hésité parce qu’elle était à deux jours entiers de route d’ici, et le train n’était pas une option pour moi. Je ne supportais absolument pas le train.

– Je pense que la maison de campagne serait une bonne idée. Mais je veux surtout ne prévenir personne. J’aimerai que tu viennes avec moi, au moins que tu m’y accompagnes.

Maxence me regarde avec un air étrange et sans rien dire commence à m’enlacer. J’aime lorsque l’on est ainsi. C’est calme, on pourrait rester dans les bras l’un de l’autre des heures. J’ai la joue sur sa poitrine et j’entends son coeur battre et le son de ses poumons se remplir d’air. Il va tellement me manquer, c’est le seul qui m’a toujours aimé comme je suis. Je commence à pleurer mais essaie de retenir mes larmes.

– Si tu ne veux pas venir, enfin, tu n’y es pas obligé.
– Tu es conne. Je vais t’accompagner et rester avec toi, je ne vais pas te laisser cette fois.

Je ris, je ne sais pas réellement pourquoi, mais j’ai ris. Nous commençons à discuter comme si rien ne s’était passé et j’oubli déjà que dans cinq jours, je ne serai plus là. Mais toujours là, la seconde bat, mon coeur bat et me fait sentir que le temps s’écoule.

Nous sommes partis le lendemain matin. Cela fait presque deux jours que nous somme sur la route, nous arriverons tard dans la nuit. Tout le long, nous avons écouté de la musique, je voulais réécouter tous les morceaux que j’avais écoutés dans ma vie. Cela était presque impossible, mais je verrai où je m’arrêterai, ces musiques me rappelaient des souvenirs, me faisaient ressentir les émotions passés.
Nous parlons du passé, il connait probablement mieux ma vie que moi. J’ai eu beaucoup d’amis, d’excellents amis, mais par exigence ou par besoin de tranquillité, j’ai les ai souvent rayés de ma vie aussi simplement que l’on jetait un mouchoir. J’ai parfois essayé de faire sortir Maxence de ma vie lorsque j’étais jeune, mais je n’ai jamais pu.
Nous nous rappelions un à un, chaque personne que j’ai probablement blessée par mon apparente froideur. J’aurai peut-être dû être plus sociale, j’aurai sûrement eu une vie plus remplie. Mais je ne sais pas si j’aurai été heureuse. Je ne pense pas avoir trouvé le bonheur dans ma vie, en revanche, j’ai vécu dans une relative tranquillité. Malgré mon goût des disputes et de la mise en scène.
Je regarde dehors la nuit noire et le paysage commence à m’être familier. Je souris, et commence à réciter un poème par-dessus un air de musique doux.

J’ai eu le courage de regarder en arrière
Les cadavres de mes jours
Marquent ma route et je les pleure
Les uns pourrissent dans les églises italiennes
Ou bien dans de petits bois de citronniers
Qui fleurissent et fructifient
En même temps et en toute saison
D’autres jours ont pleuré avant de mourir dans des tavernes
Où d’ardents bouquets rouaient
Aux yeux d’une mulâtresse qui inventait la poésie
Et les roses de l’électricité s’ouvrent encore
Dans le jardin de ma mémoire

Maxence me jette quelques coups d’oeil alors que je fini le dernier vers. Il a les sourcils froncés et je pense qu’il cherche quel est l’auteur de ce poème. Je le laisse encore chercher et me moque de lui en rigolant.

– Je crois avoir enfin trouvé, me dit-il tout sourire. Guillaume Apollinaire, Alcools. Tu me l’avais lu il y a quelques temps.

Je ris et applaudis, c’est un poème des « Fiançailles » que j’affectionne beaucoup. Peu de temps après nous sommes arrivés à la maison de campagne. Les lierres ont envahi les escaliers menant au porche et une grande partie de la façade. Je descends de la voiture et commence à prendre une partie de mes bagages. Une fois la porte d’entrée passée, je ressens un choc, j’avais complètement oublié que j’avais fait placer des draps blancs sur tous les meubles. Sûrement parce que je ne pensais pas revenir ici.
J’allume les lumières, c’est une vieille maison d’il y a peut-être trois ou quatre siècles. La décoration est simple et claire, j’ai toujours adoré cette maison, sûrement pour ça que ma tante me l’avait particulièrement légué à moi plutôt qu’à mes autres cousins.
J’enlève le drap du canapé et m’allonge dessus en observant le plafond en trompe l’oeil. On voit Icare tenté de s’élever jusqu’au soleil. La peinture est un peu abîmée, je trouve ça dommage. Les yeux fermés, fatiguée par ces deux jours de voyage, j’écoute les pas de Maxence raisonner à l’étage, il doit sûrement déposer nos valises et inspecter la maison que nous avons désertée si longtemps.
Je me rappelle de ces journées où j’étais seule ici. Je marchais dans toute la maison perdue dans mes réflexions en écoutant le son que faisaient mes pas sur le sol de chaque pièce et chaque couloir. Je marchais tranquillement habituée à entendre un son particulier, lorsque soudain le parquet faisait un bruit particulier ou grinçait, je m’arrêtais alors et repassais dessus pour bien vérifier ce que j’avais entendu.
J’aimais particulièrement faire ça, cela semble idiot, mais cela me calmait et m’occupait. Marcher et entendre le bruit de mes pas raisonner dans une grande maison vide m’aidaient à réfléchir. Les pas de Maxence se sont arrêtés. J’ouvre les yeux et il est à côté de moi en me souriant timidement. Il a posé mon violoncelle un peu plus loin et me tend la main pour m’aider à me relever.

– J’ai mis en route le chauffage et rapidement préparer ta chambre. Tu es fatiguée ?
– Pas vraiment, je jette un coup d’oeil au violoncelle, je vais peut-être jouer un peu avant de dormir.

Je lui souris, il me dépose rapidement un baiser sur les joues. En s’en allant, il attrape mon violoncelle pour le monter jusqu’à la salle de musique au dernier étage pour moi. Il ne voulait pas que je me fatigue en portant des choses lourdes. Alors je monte un peu derrière lui, et entre dans la salle. Il y a encore le piano, comme je l’avais laissé. Le couvercle ouvert, mais la poussière s’est déposée sur le clavier, je laisse tomber un doigt sur un touche, mais le son est très mauvais. Il doit être désaccordé.
Je commence à enlever mon instrument de son étui et m’assoie sur le tabouret au centre de la petite salle où je passais beaucoup de temps durant mes étés à jouer seule. Je reste un long moment à simplement laisser le violoncelle entre mes cuisses et l’archet dans ma main. J’essaie de me souvenir des instants de ma vie rattachée à cet instrument.
Je me rappelle de mes débuts, lorsque j’ai commencé à jouer de simples morceaux et de ma difficulté avec le tempo. J’avais le métronome qui battait sans cesse, ce toc, toc, toc, toc… Cela me rendait folle, j’ai bien sûr fini par y arriver, mais plus pour la beauté des musiques que je jouais.
Je commence à jouer un morceau qu’un amant m’avait un jour écrit. Maxence aimait particulièrement ce morceau, il aimait le fait qu’un homme m’ait spécialement écrit quelque chose par amour. Je me souviens particulièrement de cet homme parce qu’il m’avait touché. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. Alors que j’enchaine les derniers accords, je sens mon coeur s’accélérer. Une fois le morceau fini, je reste encore un moment dans cette salle, essayant de chercher les détails insignifiant de ma longue vie. Il me reste encore trois jours à vivre.

La première chose que j’ai fait ce matin fut d’arrêter toutes les horloges de la maison qui marchaient encore. Maxence a arrêté sa montre et l’a rangé, nos portables ont été éteins. Je n’avais pas envie de voir les secondes s’écouler, ça m’est devenu insupportable car je n’ai jamais aimé cette seconde qui rythmait implacablement nos vies. Le temps est relatif, il n’avait plus besoin d’être mesuré en fonction des autres maintenant, car j’étais seule avec Maxence. Mon horloge est à présent mon coeur pour les trois jours qu’il me reste et la musique que je laisse raisonner constamment dans la maison rythme mes journées.
Nous sommes dans le salon, Maxence est en train de lire sur le canapé tandis que je regarde par la fenêtre. La lumière douce mais claire donne à la végétation une couleur particulière que j’aime, je ne sais pas si ça a toujours été ainsi. Mais je ne me souviens pas avoir vu ainsi la nature. Je reste un long moment à observer et j’écoute juste la musique en me rappelant des moments de ma vie qui m’y font pensés.
J’arrive à voir mon reflet dans la vitre de la fenêtre, je n’ai pas changé physiquement depuis mes vingt ans. Je suis toujours aussi jeune, j’ai la peau toujours aussi douce et ferme. Je me demande si j’aurai eu plus peur de la mort en me voyant mourir, à cet instant, je peux encore donner l’illusion que je suis à l’aube de ma vie, alors que j’en suis au crépuscule.
Je me tourne vers Maxence et le fixe. Il ne s’en rend pas compte car il est absorbé dans sa lecture. J’essaie de l’imaginer vieux. Je n’y arrive pas, il a été l’éternel Maxence, je ne me souviens même plus de son apparence lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a quatre-vingt-dix-sept ans.
Je me demande encore pourquoi Maxence reste avec moi. J’ai souvent été volontairement blessante envers lui, rien que pour l’éloigner. Il y a très longtemps, il m’avait avoué que je le fascinais, même à travers les années, alors que nous avons naturellement évolués, nous restons toujours aussi attachés l’un à l’autre. Quoique je fasse, il est là. Je l’aime tellement que j’en pleurs parfois.
Maxence lit toujours. Je m’assoie dans le fauteuil face à lui et commence à prendre un livre dans l’énorme pile que je m’étais constituée, ne prenant que le temps de relire les passages qui m’avaient marqués. Il y a beaucoup de romance. Mais j’ai du mal à savoir si j’avais réellement été amoureuse dans ma vie.
C’est un sentiment qui s’évapore vite chez moi, j’ai eu beaucoup d’amants et peu de relations sérieuses. On nous a souvent demandé si moi et Maxence étions amoureux, souvent nous en riions. En revanche cela devenait beaucoup moins drôle lorsque nos partenaires respectifs étaient jaloux. Je trouvais ça plutôt amusant, mais Maxence n’aimait pas du tout. Je lève les yeux et souri en nous imaginant avec un enfant.

– Max, tu as déjà imaginé nos vies si nous nous étions mis en couple ?

Il leva les yeux de son livre et rit fort. Je ris aussi, mais plus par gêne.

– Peut-être une fois ou deux. Mais ça n’aurait jamais marché, nous serions morts en nous déchirant. Surtout avec ma jalousie et ta frivolité.

Je ris à nouveau par gêne. Si j’avais été réellement amoureuse, j’aurai sûrement été très fidèle. Il devait le savoir car je lui avais déjà dit plusieurs fois, mais j’avais l’impression qu’il l’omettait consciemment. Nous retournons nos lectures, mais je ne suis plus réellement là, je lis un vieux livre qui parle de l’existence d’une âme soeur. Et si Maxence était mon âme soeur ? Je chasse très rapidement cette hypothèse en secouant la tête alors que mon coeur bat à une vitesse folle.
Il me reste deux jours. Je regarde plus fréquemment les chiffres défilés sur ma carte. Je suis descendue en dessous des cents soixante milles battements de coeur, je regarde cela avec une pointe de tristesse, mais la présence de Maxence m’aide, je me sens rassurée.
Je regarde encore dehors, la lumière est faible à cause du brouillard. Je suis passée dans toutes les pièces de la maison ce matin pour essayer d’y trouver des choses que j’aurai oublié, mais je n’y ai rien trouvé. Je coupe la musique et me dirige vers Maxence qui finissait de se préparer.
Je voulais faire une promenade, revenir à ce bois où je passais de longues heures à lire. Avec Maxence, nous parlons toujours comme si rien n’allait arriver, nous rions toujours autant. C’est la seule personne avec laquelle je me sens parfaitement à l’aise. Il est toujours là.
Je respire profondément pour me reprendre d’un fou rire suite à une plaisanterie de Maxence, nous arrivons au petit bois, l’automne à couvert le sol de feuilles qui se sont entassés au fils des ans et ont fait disparaître l’herbe. C’est devenu méconnaissable, cela a tellement changé alors que je suis toujours la même, aussi jeune figée à mon vingtième anniversaire.
Je ferme les yeux et me souviens des sonates de Beethoven que j’écoutais à cette époque, je me vois assise contre un arbre un recueil de poème à la main essayant d’apprendre par coeur des vers, mais la beauté de la musique m’interrompait à de nombreux moments. Je me revois aussi glisser ma main entre l’herbe et en arracher lentement des poignées pour entendre chaque brin d’herbe se briser. J’ai la vague impression de me souvenir de l’odeur que cela dégageait. Je rouvre les yeux et cherche Maxence. Il s’est légèrement éloigné, je me rapproche de lui.

– Tout à changer, j’aurai du faire entretenir tout ça. C’est dommage.
– Je suis désolé, Isabelle. Tu veux que l’on rentre ?
– Oui, rentrons. Mais de toute façon, ce n’est pas grave, ça n’était pas réellement important.

J’ai trouvé Maxence particulièrement calme face à ma prochaine mort, nous n’avions pas encore réellement parlé de ça. Alors je suis allée le voir dans sa chambre à la fin de la journée, mais il était parti prendre sa douche. Je me suis assise sur le lit pour l’attendre, j’ai regardé autour de moi et j’ai cherché la montre de Maxence pour je ne sais plus quelle raison.
J’ai ouvert le tiroir de sa table de chevet pensant qu’il l’avait mis là, mais je trouvai tout autre chose. Une carte, blanche, avec ces chiffres bleus qui défilaient. Ce n’était pas la mienne, elle était sur mon bureau, je l’avais regardé avant de venir ici. Je la pris et lu clairement le nom de Maxence. Il devait y avoir un jour de plus que moi.
Je ne sais combien de temps je suis restée là, la carte dans ma main. Pourquoi ne me l’a-t-il pas dis ? Sûrement pour ne pas m’inquiéter. J’observe les chiffres changer, diminuer progressivement et régulièrement, jusqu’à ce que le décompte s’affole.

– Je vois que tu as trouvé la carte. J’étais venu te l’annoncer l’autre jour.

Je le fixe sans émotion, il vient s’assoir à côté de moi. Il me prend la carte des mains et joue avec comme pour l’aider à trouver ses mots.

– Je ne voulais pas que tu t’inquiètes pour moi. Que tu te sentes coupable de me retenir égoïstement alors que moi aussi je vais mourir.
– Tu avais mieux à faire que m’accompagner, j’aurai pu être seule, ça ne m’aurait pas déranger.

Je mens. Ça m’aurait énormément rendu triste, mais je ne veux pas lui dire. Je serai devenue folle si j’avais été seule pour mourir. J’aurai passé mes journées à pleurer, sans rien faire.

– Tu aurais passé ton temps à pleurer et tu aurais fini par m’appeler en me suppliant de te rejoindre. Je te connais Isabelle, je suis heureux de passer mes derniers jours avec toi.

Je lui souris et pose ma tête sur son épaule, dans la maison raisonne une ballade que j’écoutais durant mes études, principalement lorsque je réfléchissais à mon avenir. Ces vieux sentiments de peurs m’envahirent. Nous nous sommes allongés sur le lit et nous avons tenté de nous endormir en discutant du passé, la musique resta nous bercer toute la nuit.

Je me réveillai doucement. J’avais fait un mauvais rêve. J’étais dans une pièce noire et j’entendais quelque chose battre régulièrement, un son très flou que je n’arrivais pas à identifier. Chaque battement était comme des coups de couteau sur mon corps, je saignais de partout et le rythme accélérait encore et encore. Je me rendis compte que c’était mon coeur.
Je regarde autour de moi. C’est mon dernier jour. Je commence à me sentir mal, j’ai peur. Mon coeur bat vite, fort et me fait mal. Ma respiration se bloque, je me relève pour essayer de me calmer mais je n’y arrive pas. Maxence se réveille et m’appelle.
J’ai du mal à l’entendre, mais je le vois clairement lorsqu’il me prend le visage entre ses deux grandes mains. Je fixe ses yeux verts et essaie toujours de respirer. Mon coeur se calme peu à peu. Maxence me regarde avec inquiétude, il m’embrasse la joue et s’éclipse un moment. La musique s’arrête et il revient avec un verre d’eau ainsi que ma carte.
Je suis descendue en dessous de sept cent cinquante milles battements de coeur. Il me reste moins de deux heures à vivre. J’essaie de rester calme, Maxence à l’air abattu. Je commence à pleurer. J’ai peur.

– Maxence. Nous avons eu une belle vie hein ? Il n’y a pas de regret à avoir…
– Oui, nous avons passé de belles vies. Cela fait presque un siècle que nous nous connaissons, il rit, qui aurait cru que nous nous serions supportés tout ce temps ? Je regrette seulement de ne pas avoir toujours été là pour toi, je t’ai toujours aimé Isabelle.

Nous sommes tous les deux en train de pleurer comme des cons. Je me relève, j’essaie d’essuyer mes larmes. Je prends Maxence dans mes bras et je m’y sens bien. Je ne réfléchis plus et prends ses mots comme une déclaration d’amour. Je veux y croire. J’attends un moment avant de lui dire :

– Je suis désolée.

Je ne sais pas réellement de quoi je le suis. Pour tout, de l’avoir retenu ici, de lui avoir fait du mal dans le passé. Il n’aura qu’à comprendre ce qu’il voudra, cela ne m’importe plus réellement. Je renifle rapidement et essuie de nouveau mes joues.

– Je t’aime Maxence. Merci.

Il m’embrasse le front et me murmure son amour. Le soleil commence à se lever dehors, je passe un long moment à regarder par la fenêtre en écoutant nos battements de coeurs et nos respirations.
Nous décidons d’aller manger. Mon dernier repas, je bois tranquillement du café et mange des pâtisseries. Je regarde Maxence faire les cents pas dans le couloir, il est en train d’appeler le service qui s’occupe des morts telles que la mienne. Il revient, nous tombons dans un silence gêné.
Bizarrement, je le prends sereinement. Mon coeur commence à battre plus lentement, je me sens plus faible, moins consciente. J’ai froid. Je me persuade que ma vie a été convenable, et que de toute façon, maintenant, il n’y avait plus rien à faire. Je ne veux pas penser à l’après. Je n’ai plus qu’une petite heure à patienter. Je me dis seulement que Maxence m’aime. Il est là, sera toujours là.
Nous sommes sur le canapé, je suis recouverte de ma couverture préférée. Maxence est à côté de moi, ma tête posée sur son épaule, je l’écoute me lire mes poèmes préférés.

Aujourd’hui est une journée lumineuse. Il est tout près de moi, et sa voix me berce. Je n’entends que sa voix, rien d’autre que sa voix, auprès de mon amour. Chaque mot s’évade et rythme la beauté.